Quand on se demande ce qui fait un bon récit, la réponse qui me vient en tête c’est une oeuvre qui parvient à donner de la cohérence à un tas d’éléments disparates dans un tout qui fait étrangement sens. En ce sens, Spy x Family et son succès phénoménal ont l’air de bien correspondre. On parle d’une série qui met un pied dans la guerre froide, parle de cuisine, d’espionnage, de pouvoirs psychiques ou encore d’une enfant débile… Un bordel qui marche extrêmement bien en étant un récit dramatique et politique mais aussi une excellente comédie romantique et hilarante.
À côté ? Gundam ce sont des séries de robots et c’est tout non ?
Pourtant, si Tatsuya Endo a réussi à nous faire gober Spy x Family et à en faire une des meilleures found families de la décennie, elle n’est pas une création parfaite et intangible. Plus proche d’un imbroglio conjoncturel, la série est le résultat de plusieurs évolutions de scripts mais aussi d’une collaboration avec son éditeur Shihei Lin qui, à ce stade, est littéralement un faiseur de génies (Chainsaw Man, Dandadan, Kemono Incidents). Il faut donc garder en tête qu’Anya aurait pu être une adolescente, la famille aurait pu être plus nombreuse ou encore que la bonne humeur du titre était une demande de Shihei Lin.
Et c’est ce qui explique peut-être pourquoi Goro Taniguchi n’a jamais réitéré le succès de Code Geass. C’est autant le fruit d’une époque qu’un ensemble de conjonctures et de chances qui ont conduit à Code Geass d’être ce bazar fantastique qui ne dépendait pas seulement de son réalisateur et de son scénariste. Je ne prends pas cet exemple par accident. La série est vue comme une version tout public de Gundam ou, autrement dit, comme une porte d’accès au monde merveilleux des mechas. Une série qui, à la manière de Spy x Family, est aussi un imbroglio avec des concepts détonnants qui invitent à la curiosité : des robots géants, des pouvoirs exagérément cheatés, un conflit armé entre génies ainsi que des relations pétées et des twists joliment amenées.
Manquerait-il aux séries Gundam des concepts catchy et prenant ?
Dans l’imaginaire, Gundam a une réputation de licence « pan ! pan ! dans l’espace avec de gros robots » qui attire pour ses figurines. La vitrine de Gundam n’est pas mirobolante. Pire encore, ce cloisonnement est parfois délibéré de la part de quelques fans. Un espace fermé très masculin avec un jargon et ses propres codes. Il faut mériter Gundam. D’autant qu’on parle d’une licence quinquagénaire dont la chronologie est une épreuve mentale : séparez les doublons, les remakes et les séries indépendantes et le travail ne sera pas fini. En contrepartie Spy x Family n’a qu’un manga et qu’une adaptation animée.
Bon ok, je n’ai vu que 2 des séries Gundam tout public (Iron-Blooded Orphans et Witch of Mercury) mais il faut voir à quel point je me sens drôle à écrire un article pour encenser Spy x Family en tapant sur Gundam.
N’est-il pas évident que la gamine esper aux cheveux roses avec des antennes gagne haut la main contre un Gundam ?
En vérité, si on remonte le temps, il faut se rendre compte du nombre de choses absolument absurdes que Gundam nous invite à adhérer. La franchise a puisé tout le long dans la culture de ses époques et a iconisé des choses qui nous paraissent désormais normales. Il est devenu acceptable d’avoir plusieurs classes de robots humanoïdes géants qui naviguent et combattent dans l’espace avec des armes à feu ou d’avoir un champ politique qui dépasse les préoccupations terrestres. La série a fixé et dessiné l’image par défaut du mecha. C’est aussi une des premières licences à jouer autant sur tous les médiums : manga, film, cd audio, anime.
Finalement un Gundam, ce n’est pas comme un PC Gamer Géant qui s’est démocratisé ?
Si des gens ont un jour perçu Gundam comme une licence plus ennuyante, il y a pourtant beaucoup plus que les robots que l’on y aperçoit : c’est de l’amour, de la politique, de la rivalité, de la tragédie et du drame à l’overdose. Et si Gundam peut paraitre convenu et sobre au regard de Spy x Family, il faut se rendre compte que même Code Geass accuse son âge (bientôt 3 séries et films indépendants). Bientôt, le tour de Spy x Family viendra.
Spy x Family fait partie des séries qui signaient un nouveau vent pour la Shueisha : un des premiers gros succès numériques du Jump Plus avec des thématiques qui se décrochaient bien du shonen nekketsu classique à la One Piece ou Naruto. Pourtant, Spy x Family en manga arrive déjà sur ses 5 ans et si je suis convaincu que la série vieillira bien, elle prendra sans doute aussi des rides.
Spy x Family n’est-il pas le botox dont le Shonen Jump avait besoin ?
Surtout, si on peut encore parler de Gundam aujourd’hui alors que la série approche de ses 50 ans, c’est parce que l’une comme l’autre ont été des moments solennels dans la culture. C’est peut-être la même chose qui se produit actuellement avec Frieren avec l’impression qu’on ne pourra plus imaginer ou écrire du fantastique sans penser à cette série.
Enfin peu importe. On est là pour le sang, la bagarre, la violence. Il faut que je donne raison au titre de mon article parce que j’ai peu dit. Et si je devais m’en tenir à ce que Gundam est ces derniers temps, je dirais que ce n’est pas très rassurant. Quand on sentait le regain d’intérêt avec IBO et Thunderbolt, le dernier opus, Witch of Mercury change la température. La série fait un effort étrange de modernisation entre son couple de filles, ses startups et le cadre lycéen de son intrigue. Un soin rajeunissant qui accentue plutôt le coup de vieux . Je pense ne pas me tromper en disant qu’on en a déjà marre en 2024 du yuribait (n’est-ce pas Sound Euphonium ?), d’Elon Musk, de Sam Atwell ou de la sur-représentation des séries lycéennes.
Witch of Mercury, ce n’est pas comme Macron qui est le renouveau de la droite ?
A côté, Spy x Family réussit sa série d’espionnage, ses tranches de vie adorables, son humour de quiproquos et mine de rien à écrire de vrais gamins débiles. Alors évidemment rien à voir entre les 2 séries sur les thématiques, la longueur, les auteurs ou les éditeurs et studios. On aurait du mal à voir Spy x Family sans Loid ou Yor alors qu’on ne compte plus le nombre de personnages dans les multiples titres Gundam. Il faut ressortir la formule du coq et de l’âne jenesaisquoi. Pourtant, si Spy x Family est meilleur que Gundam ce n’est pas seulement en tant que franchises au succès retentissant qui vont marquer leur époque. Non, c’est bien plus profond que ça. Et j’ai fait un dessin pour vous le montrer :
L’art a parlé. Anya était un Gundam depuis le début.
Je voulais finir cet article en abordant le plaisir que j’ai pris dessus. Pas tant à l’écrire qu’à répéter le titre de celui-ci et interloquer mon entourage. Entre ceux qui me prennent pour un fou et ceux qui étaient curieux du contenu, c’était plutôt amusant. Evidemment, sur l’instant, comparer Spy x Family à Gundam fait pas forcément sens mais je ne crois pas que ce soit étrange. Surtout pas vu nos attitudes sur les réseaux sociaux à mettre en compétition tout ce que l’on voit. Il faut savoir qui est le mec le plus fort dans un shonen, la meilleure romance jamais écrite ou le meilleur anime de la saison. Des tops et des rivalités qui peuvent avoir l’air bêtes mais qui ont de quoi amuser et faire causer. Bref, saféréfléchir.
Pour faire une chouette métaphore, la politique dans Gundam c’est un peu les bulles dans l’eau pétillante. Anya dans Spy x Family c’est un peu pareil avec du chewing-gum.
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