Revenger se venge et se viande

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Le rรดle dโ€™enseignement des histoires nโ€™est pas lโ€™apanage de quelques contes ou fables douรฉes dโ€™une morale ou dโ€™une leรงon. On nโ€™attend pas de lire La Fontaine avant dโ€™apprendre quelque chose de nos lectures. La fiction a un rรดle prescriptif parce quโ€™indรฉpendamment des motivations de lโ€™auteur, elle a la capacitรฉ de fixer chez son lecteur des idรฉes et des concepts. De lโ€™anecdote ร  la leรงon de vie, il y a ร  apprendre autant dโ€™un anime de cuisine comme Sweetness & Lightning que de la persรฉvรฉrance du jeune ninja blond aux yeux bleus nommรฉ Naruto Uzumaki pour les connoisseurs.

Aprรจs avoir regardรฉ Revenger, je me dis que jโ€™ai mal tournรฉ. Je veux me droguer et me venger de tout le monde. Je veux faire la bagarre et je veux mโ€™habiller en samurai. Non, je rigole, je nโ€™irai pas mโ€™acheter de sabres ร  Japan Expo, mais je repars de la sรฉrie avec de sales pensรฉes. La douloureuse histoire de Kurima Raizo embourbรฉ dans un complot entre assassins et opium avait peut-รชtre un message ร  transmettre. Dommage, jโ€™ai lโ€™impression que son auteur, Gen Uroboshi, sโ€™est bien plantรฉ en essayant.

Le connaissez-vous dโ€™ailleurs ? Gen Urobochi est un gros nom des annรฉes 2010 qui sโ€™est fait remarquรฉ sur Aldnoah Zero, la S1 de Psycho-Pass ou encore Magical Girl Madoka Magica. Ces sรฉries lโ€™ont idรฉalisรฉ comme un auteur bavard capable de crรฉer des univers denses et malsains avec les personnages tourmentรฉs qui vont avec. Jโ€™ai clairement un coup de cล“ur pour cet individu qui ne manque jamais de verser dans les discussions de comptoir sans oublier les personnages ร  lโ€™origine de ces rรฉflexions bancales. Cโ€™est un art de distinguer le nโ€™importe quoi de chaque individu, surtout quand on parle de fiction. Cโ€™est la preuve quโ€™un auteur sait sโ€™effacer pour faire vivre les foules de pensรฉe dโ€™un univers.

Vous me voyez venir ? Avec Revenger, Gen Urobochi nโ€™a pas su se taire et prend plus de place que ses personnagesโ€ฆ Non je rigole, il est douรฉ le garรงon. Avec Revenger, vous avez tout un propos sur le sens que lโ€™on donne ร  une vie et ร  son travail (en dรฉpit des atrocitรฉs commises) qui varie relativement bien selon le personnage. On distingue bien ceux qui font preuve dโ€™une foi religieuse, ceux qui souhaitent un foyer ou ceux prรฉsents uniquement par ennui.

Yuki Miyamoto’s Cut on Sakugabooru

La sรฉrie suit une รฉquipe dโ€™assassins qui produit de la vengeance moyennant finance dans une foule dโ€™histoires indรฉpendantes avec un focus sur le taciturne Kurima Raizo : une jeune recrue ayant perdu sa fiancรฉe et son beau-pรจre dans les retombรฉes dโ€™un traffic dโ€™opium. En leur compagnie, on arpentera lโ€™ancien Nagasaki oรน se cรดtoient des nรฉcessiteux, des courtisanes, des รฉtrangers, des artistes itinรฉrants et des commerรงants vรฉreux. Chacun est impliquรฉ de prรจs ou de loin ร  une vengeance et ร  la maniรจre des enquรชtes dans Psycho-Pass, chaque vengeance est lโ€™occasion dโ€™interroger lโ€™humanitรฉ des vengeurs et des vengรฉs. Safรฉflaichir.

Le cadre historique, les habits dโ€™รฉpoque, le travail sur les usages et les mentalitรฉs de ce temps sont bien retranscrits. Cโ€™est un travail dโ€™immersion autant par lโ€™รฉcriture que par lโ€™animation qui permet dโ€™en faire une des meilleures rรฉussites techniques et visuelles de la saison dโ€™hiver 2023. Ajiado, le studio derriรจre A Sign of Affection et Masaya Fujimori, le bon rรฉalisateur de Kemono Incidents signent une histoire soignรฉe de bout en bout avec un joli sens du timing. Certains twists du scรฉnario passent trรจs bien et il y a un beau sens du rythme que ce soit dans les sรฉquences mรฉlancoliques ou dans les combats dynamiques et violents de la sรฉrie. Jun Futamata a fait ses armes sur cette sรฉrie mais avecย une bande-son pareille on lui souhaite un avenir radieux.

En dรฉpit de toutes ses qualitรฉs, Revenger nโ€™est pas une recommandation. Les 12 รฉpisodes ne suffisent pas ร  donner de la profondeur et du dรฉtail pour traiter joliment chaque cas de vie avec un peu plus de mordant. Le double aurait รฉtรฉ plus quโ€™agrรฉable mais nous ne sommes plus ร  lโ€™รฉpoque de Psycho-Pass. Produire 24 รฉpisodes nโ€™est plus aussi facile dans lโ€™industrie. Pour autant le vrai problรจme est ailleurs.

Gen Urobochi a construit avec Revenger un rรฉcit oรน de nombreux dilemmes moraux sont รฉvoquรฉs : Peut-on tuer pour de lโ€™argent ? Toutes les vengeances sont-elles justes ? Qui rendre responsable des morts ? Pourtant, parce quโ€™aucun aspect du scรฉnario ne dit fonciรจrement que la marchandisation de la violence est mal, on est en droit se demander ce que peut bien cautionner la sรฉrie ?

Dans le livre X de la Rรฉpublique, Platon avait รฉmis lโ€™idรฉe de censurer et contrรดler les auteurs au nom de la dangerositรฉ des mauvaises tragรฉdies. Celles qui rรฉpandraient de mauvaises germes chez les enfants de la citรฉ devraient รชtre remplacรฉes par dโ€™autres approuvรฉes par les thรฉoriciens de citรฉ idรฉale. Et si Platon a des relents de droitard bourrรฉ, il donne inversement ร  juste titre un pouvoir considรฉrable aux rรฉcits dans leur faรงon dโ€™inculquer des valeurs. Evidemment, la culture nโ€™est pas puissante au point que Revenger (ou les jeux vidรฉo) me rende violent mais les pensรฉes qui dรฉcoulent dโ€™un visionnage ont des retentissements dans notre construction personnelle. On peut s’agacer de ce qu’Urobochi s’autorise ร  dire maladroitement ou intentionnellement. Clairement, Revenger nโ€™aurait pas le Platon approval.

Si tu admets la Muse voluptueuse, le plaisir et la douleur seront les rois de ta citรฉ, ร  la place de la loi et de ce principe que, d’un commun accord, on a toujours regardรฉ comme le meilleur, la raison. [… ] Dรฉclarons nรฉanmoins que si la poรฉsie imitative peut nous prouver par de bonnes raisons qu’elle a sa place dans une citรฉ bien policรฉe, nous l’y recevrons avec joie, car nous avons conscience du charme qu’elle exerce sur nous – mais il serait impie de trahir ce qu’on regarde comme la vรฉritรฉ.

606e-607d, Livre X, La Rรฉpublique, Platon

Revenger est une histoire de petites gens. Jamais les facteurs socio-รฉconomiques ou le pouvoir รฉtatique ne sont mis en jeu pour expliquer et rรฉsoudre la misรจre, la maladie et le vol. On est loin de la citรฉ de Platon qui organise ses membres. Malheureusement, Urobochi nโ€™est pas non plus lโ€™avocat du bas peuple. En faisant le rรฉcit dโ€™une corruption omniprรฉsente et de vengeances parfois bafouรฉes et sans raison, Urobochi dresse un tableau sordide et amoral qui nโ€™aura lโ€™affection de personne.

Pire encore, la mise en scรจne et la musique que je cรฉlรฉbrais plus tรดt paraissent ainsi glorifier les combats et les vengeances comme les points dโ€™orgue de la sรฉrie. Et il en ressort, quโ€™aprรจs tout, on assiste ร  une cรฉlรฉbration ou Revenger porte un peu trop bien son nom. Vive la vendetta, je suis vengeance, je suis Batman.

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