Heike n’est pas non plus un spin-off Monogatari

โ€ข

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Ni Katanagatari ni Ore Monogatari d’ailleurs

Heike Story nโ€™a รฉtรฉ annoncรฉ que 2 semaines avant sa diffusion dans le cadre dโ€™une adaptation de 2 histoires de Hideo Furukawa autour de la culte chronique poรฉtique Le Dit des Heike. Sans รชtre certain de la raison de ce court dรฉlai, il y avait nรฉanmoins de quoi รชtre surpris. Dโ€™une part parce que lโ€™une des histoires serait adaptรฉ en un film, Inu-Oh, qui serait par la mรชme occasion le dernier film de son rรฉalisateur, Masaaki Yuasa. Dโ€™autre part, et cโ€™est le sujet de cet article, la seconde histoire serait transposรฉe en sรฉrie par une rรฉalisatrice quโ€™on nโ€™imaginait absolument pas ici, Naoko Yamada.

Si la majoritรฉ de la carriรจre de Yuasa sโ€™est faite ร  Science Saru, il est plus inattendue dโ€™y voir la rรฉalisatrice de K-ON!, Liz et lโ€™Oiseau Bleu et A Silent Voice. Avec un apprentissage, des premiers faits dโ€™armes et des postes dโ€™envergure entiรจrement ร  Kyoto Animation, on lโ€™imaginait cultiver ce nid plus longtemps. Que ce soit une consรฉquence du tragique incident de 2018 ร  Kyoto Animation ou un choix de carriรจre, cette dรฉcision a rapidement pris du sens. Si elle abandonnait la stabilitรฉ et le degrรฉ technique de KyoAni, elle sโ€™autorisait la libertรฉ crรฉative dโ€™un studio qui a toujours fait briller des projets hรฉtรฉroclites (quitte ร  en payer le prix sur la santรฉ de la production). Un studio qui bรฉnรฉficie gรฉnรฉralement dโ€™une meilleure distribution cinรฉma et qui pourrait faire briller plus que jamais son talent ร  lโ€™international.

Il est bon de le rappeler, mais ne doutez jamais que Naoko Yamada soit la meilleure rรฉalisatrice dโ€™animation japonaise ayant jamais vu le jour. Lรฉgendaire par lโ€™hรฉritage quโ€™elle laisse dโ€™ores et dรฉjร  dans le paysage. On lโ€™imite et on la rรฉfรฉrence au sein et en dehors de Kyoto Animation, le studio qui lโ€™a fait connaรฎtre. Ses รฉlรจves agitent les marques de son style, que ce soit sur Kaguya-sama, Wonder Egg Priority ou mรชme Tsurune. Ainsi sa nouvelle oeuvre, Heike Story, se remarquait dรจs sa bande-annonce et son excellent montage : une distribution sans รฉconomie de points techniques et mettant joliment en scรจne un des plus grands mythes du Japon, un rรฉcit de la cupiditรฉ funeste du clan Heike/Taira au XIIe siรจcle sur fond de guerres de pouvoirs et intrigues familiales.

Lโ€™originalitรฉ et la pertinence de cette adaptation prennent forme grรขce ร  Reiko Yoshida, scรฉnariste talentueuse et indรฉfectible de Naoko Yamada, qui se concrรฉtisent en Biwa, un personnage inรฉdit au roman dโ€™origine. Il sโ€™agit dโ€™une petite orpheline, recueillie par le clan Taira et joueuse de biwa, instrument dont elle porte aussi le prรฉnom. Les Biwa Hoshi รฉtaient des musiciens aveugles conteurs dont certaines รฉpopรฉes narrรฉes furent compilรฉes pour devenir notamment le Dit des Heike ou le Dit du Genji. Un hommage donc, mais supplantรฉ dโ€™une originalitรฉ : Biwa nโ€™est pas aveugle mais possรจde en ses yeux la capacitรฉ dโ€™entrevoir le futur. Un trait dโ€™รฉcriture qui va donner une force extrรชmement tragique ร  un rรฉcit pourtant connu de nombreux japonais.

ร‰crite comme une histoire dโ€™hommes avides, Biwa donne une autre perspective : ร  hauteur dโ€™enfant et dโ€™innocence, de femme et de spectatrice contrainte de la dรฉbรขcle de cette grande famille. Adaptรฉe en 12 รฉpisodes, la sรฉrie est un ensemble de fenรชtres sur plusieurs annรฉes qui vont dessiner lโ€™apogรฉe et la chute pleine dโ€™orgueil du clan et de ceux qui vont y laisser la vie. Biwa nโ€™est pas seulement une fille impuissante, mais cโ€™est aussi le conteur imaginรฉ par Yamada et Yoshida qui transmettra lโ€™รฉpopรฉe des Heike au futur.

Avec un dessin trรจs plat dรดtรฉ dโ€™un grain proche dโ€™estampes, Heike Monogatari sโ€™รฉcarte un peu des anciennes productions de la rรฉalisatrice. Elle nous avait habituรฉ aux aberrations optiques dโ€™appareil photo avec un des plus beaux exemples dans le trรจs joli ending de Tamako Market. Heike sโ€™y prรชte moins et trouve son juste milieu dans un style รฉpurรฉ qui ne manque pas de dรฉtails dans les gros plans et les dรฉcors.

Des bonnes habitudes que la rรฉalisatrice garde, il y a celle dโ€™utiliser chaque membre de chaque corps pour exprimer le moindre sentiment. Des mains au jambes, la moindre crispation, la petite flexion ou le plus subtil relรขchement sera animรฉ pour rendre compte de lโ€™รฉmotion qui traverse ses personnages. Le character designer de Heike,ย Takashi Kojima, aura รฉtรฉ un bon prisme pour cette expressivitรฉ. Le leader du clan Taira, Kiyomori, nโ€™est ainsi jamais discret : on connait son rire, on subit sa colรจre et on craint ses folies. On se trouve ร  lโ€™inverse beaucoup dโ€™affection pour le perpรฉtuellement consternรฉ Shigemori et la soucieuse Tokuko, frรจre et sล“ur de substitution pour Biwa.

Taira no Kiyomori rit ร  gorge dรฉployรฉe

Des personnages, la sรฉrie en est pourvu dโ€™รฉnormรฉment. Le charadesign est bon ร  les rendre reconnaissables mais leur quantitรฉ implique quโ€™on nโ€™aura pas le temps de les pleurer et de toute faรงon, Heike nโ€™est pas une sรฉrie bonne ร  larmoyer. Elle respire la tragรฉdie de bout en bout. Lโ€™ambiance est dรฉchirante mais les traits dโ€™humour sont rares pour confectionner de la compassion. Et cโ€™est sรปrement ce qui fait que Heike nโ€™est pas un coup de cล“ur personnel. Cโ€™est un rรฉcit historique difficile et relativement froid qui met en lumiรจre comment lโ€™aviditรฉ peut mener les hommes ร  leur perte quand ce nโ€™est pas la maladie qui a raison dโ€™eux. Clairement ร  ne pas regarder dans de mauvais jours.

Il nโ€™empรชche que la sรฉrie est importante. Dโ€™une part pour la carriรจre de Naoko Yamada, qui signe son premier pas ร  Science Saru avec, en a fait un second avec le court filmย Garden of Remembranceย et est attendue en 2024 pour un long-mรฉtrage intitulรฉย Kimi no Iro pour lequel on a eu un magnifique premier trailer. Dโ€™autre part pour la raretรฉ du genre, ce nโ€™est pas souvent quโ€™on raconte lโ€™histoire en animation et aussi bien et cโ€™est encore une preuve quโ€™on peut tout raconter sur ce mรฉdium plus que nโ€™importe quel autre.

Ciaou bisous bisous.

Bibliographie

  • Journal du Japon : Inu-Oh par Masaaki Yuasa ou Le Dit du Heike dรฉcomplexรฉ
  • RCAnime : The Influences of Naoko Yamada
  • AnimeNewsNetwork : Interview avec Kensuke Ushio, compositeur de la musique de l’anime Heike Monogatari
  • AnimeFeminist : Unsung Heroes: The women of The Heike Story
  • Anime UK News : Interview: Anime Director Naoko Yamada on Science SARU and LGBTQ+ Inclusion
  • Catsuka : The Heike Story, nouvelle sรฉrie Science Saru
  • Sakuga Blog : Naoko Yamada’s Departure from Kyoto Animation and Science Sara’s Painful Reinvention : End of an Era, start of an era ?
  • WeeBBC #6 : The Heike Story & Dรฉpart de Naoko Yamada de KyoAni
  • Sakuga Blog : KyoAni’s Present and Future: Naoko Yamada and Haruka Fujita Interview
  • Journal du Japon : Liz & lโ€™Oiseau Bleu : La musique au service de lโ€™histoire
  • MรฉlanieDeaf – A SILENT VOICE
  • Nockeries : Tamako Love Story โ€“ My youth romantic story is cute and heartwarming as I expected
  • Amanko : Tamako Love Story โ€“ Amour de mochi

2 rรฉponses ร  “Heike n’est pas non plus un spin-off Monogatari”

  1. Avatar de Nock
    Nock

    โ€ข

    Vu que Poyjo est allรฉ jusqu’ร  dรฉterrer un billet que j’ai รฉcrit il y a 10 ans et le citer en biblio, je vais me fendre d’un commentaire.

    Dรฉjร , merci de parler de cette sรฉrie, elle le mรฉrite et l’article lui rend justice.
    Ensuite, je suis pour ma part complรฉtement tombรฉ sous le charme de Heike Monogatari : c’est une sรฉrie qui m’a touchรฉ assez profondรฉment et surtout, c’est une sรฉrie tellement unique dans le paysage actuel de l’animation japonaise.

    Je pense qu’une fois de plus, la grande force de lโ€™ล“uvre tient dans le talent de Naoko Yamada pour la mise en scรจne. Je m’excuse d’avance si ce que je dit paraรฎt pรฉdant, car ce n’est pas du tout le but recherchรฉ : dans une industrie remplie de sรฉries produites dans des conditions telles qu’une partie semblent devoir renoncer ร  avoir de grandes ambitions artistiques et, pour compenser des storyboards assez plats, passent beaucoup par des dialogues pour raconter les moindres dรฉtails de leur rรฉcit, le travail d’une rรฉalisatrice comme Naoko Yamada, qui sait talentueusement jouer avec les silences, la composition des plans et la mise en scรจne, dรฉtonne plus que jamais.

    [Autopromo nulle] Jโ€™รฉvoquais rรฉcemment sur Mastodon la fascination que j’รฉprouve pour l’opening de la sรฉrie et la maniรจre qu’il a de prรฉsenter une plรฉthore de personnages, qui n’apparaissent chacun ร  l’รฉcran qu’une seconde, mais en รฉtant cadrรฉs, positionnรฉs ou animรฉs de telle maniรจre qu’on peut dรฉjร  entrapercevoir la personnalitรฉ de chacun.

    La scรจne qui m’a le plus marquรฉ dans Heike arrive dรจs le premier รฉpisode : une conversation nocturne entre Biwa et son pรจre de substitution. Rien que dans la mise en scรจne, il se joue quelque chose d’extrรชmement fort. Mรชme en voyant la scรจne sans aucun son, on sent toute la mรฉlancolie qui s’en dรฉgage et la tendresse de ces deux personnages.

    Naoko Yamada est-elle la meilleure rรฉalisatrice dโ€™animation japonaise ayant jamais vu le jour, comme tu l’affirmes ?
    En l’absence de contre-exemple, je me contenterai d’opiner discrรจtement du chef, tant ses ล“uvres dรฉtonnent du reste de la production par leur rรฉalisation et leurs storyboards uniques.

    1. Avatar de Poyjo

      J’adore toujours te lire que ce soit sur sur mastodon ou en articles. Il fallait que je te partage d’une faรงon ou d’une autre :’).

      Merci pour ton commentaire sur Heike ! Beaucoup d’affection pour l’opening de Hitsujibungaku รฉgalement ! Content que la sรฉrie te plaise autant, tu en parles joliment bien. Des rรฉalisatrices comme Naoko Yamada donnent envie de se battre pour la mettre en lumiรจre et espรฉrer que l’industrie s’en inspire.

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